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la décroissance comme transition post-pétrole

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sénario de J-M J

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1sénario de J-M J Empty sénario de J-M J Jeu 22 Déc - 2:06

~~NéoBio~~

~~NéoBio~~

Documentation > Publications > Articles > Le désespoir de l'énergie (L'Expansion, octobre 2005)



Le
désespoir de l'énergie


Le texte ci-dessous
est celui d'une petite nouvelle parue dans le numéro d'octobre
2005 du magazine l'
Expansion, qui portait sur l'énergie.
"On" m'avait demandé d'imaginer comment on pourrait
vivre dans quelques décennies. Voici - hélas - une
réponse parmi d'autres (et qui n'est bien sûr même
pas la pire possible) si nous continuons à nous intéresser
de façon secondaire aux problèmes d'énergie
et de climat, mais entendons nous bien : je suis le premier à
souhaiter que cela n'arrive pas !


Quelques commentaires ont été rajoutés
à la fin de ce texte au vu de quelques réactions
constatées ici et là après la parution.


site de l'auteur : www.manicore.com - contacter
l'auteur : jean-marc@manicore.com


***

Anne referma d'un geste lent l'album
jauni par les années, en se maudissant une fois de plus
de ne pas l'avoir jeté à l'instant même où
elle l'avait retrouvé par hasard dans son grenier. Maintenant,
c'était trop tard : telle une droguée, elle y revenait
encore et encore, malgré le sentiment d'anéantissement
qui la gagnait inéluctablement ensuite. Les photos ne mentaient
pas, bien sûr : il y avait réellement eu une forêt
autour de la maison, et une petite fille joyeuse qui y poursuivait
le garçon voisin, un peu grassouillet mais si drôle...
Progressivement vaincus par la sécheresse, les incendies,
ou les maladies accompagnant des hivers trop doux, chênes
et pins avaient cédé la place à une improbable
garrigue, qui seule parvenait à subsister.



Anne n'avait pas faim : les 32
°C dans la cuisine lui ôtaient l'appétit. La
température extérieure ne descendrait pas plus bas
en ce mois d'août, même la nuit, alors inévitablement
la chaleur finissait par entrer partout. Un puissant mistral soulevait
des nuages de poussière ocre, arrachée aux champs
situés en contrebas. Il faudrait bien, malgré ces
conditions, qu'elle aille à vélo au bourg voisin
dans la soirée, si elle voulait avoir une chance quelconque
de se procurer des légumes pour améliorer la ration
distribuée par la Milice. En échange de courges
ou de tomates qui poussaient encore ici et là, elle proposerait
des travaux de couture, étant l'une des dernières
de la région à toujours disposer d'une machine à
coudre mécanique. A petite échelle, ce troc de voisinage
était toléré par la Milice, à cause
de la pénurie de vêtements neufs.



Malgré la difficulté
qu'il y avait à savoir ce qui se passait ailleurs, Anne
savait qu'elle n'était pas la plus malheureuse. Elle avait
conservé, immense privilège, le droit d'habiter
dans sa maison, hors de l'enfer des villes. Tous ceux qui n'avait
pas été affectés aux champs, aux industries
qui fonctionnaient encore, ou recrutés par les divers services
du Ministère du Développement Perpétuel erraient
dans des ghettos urbains devenus d'immenses prisons à ciel
ouvert, désoeuvrés et souvent malades. Sans calendrier
précis, la Milice y effectuait de temps à autres
une distribution gratuite d'alcool ou de haschisch - c'était
un des rares choix qui restait - qui provoquait la formation d'interminables
files d'attente, et fournissaient autant d'occasions de rixe entre
les prétendants aux paradis artificiels.



Anne s'en souvenait comme si c'était
hier. Le 26 février 2015, des islamistes fondamentalistes
avaient pris le pouvoir au Pakistan. Prises par surprise, les
nations occidentales démocratiques n'avaient rien fait,
à part gesticuler un peu devant les caméras : l'opinion
ne voulait pas risquer une bombe sur New-York ou Tokyo en jouant
les gros bras ! Un an plus tard, pourtant, deux bombes atomiques,
probablement acheminées dans de simples cargos-suicide,
anéantissent simultanément Manhattan et le principal
terminal pétrolier du Golfe Persique. Trouver les concours
nécessaires chez les scientifiques pakistanais n'avait
pas du être difficile pour les organisateurs de ces attentats
du siècle : la haine contre les nations industrielles avait
cru au même rythme que la présence de leurs armées
dans les pays pétroliers. Même les Français
avaient largement encouragé cette invasion larvée
lorsque la voiture pour tous leur avait semblé menacée.
L'Occident assista alors, impuissant, à l'écroulement
progressif du magnifique château de cartes qui avait fait
son quotidien pendant quelques décennies, et que tout le
monde avait un peu hâtivement cru acquis pour l'éternité.
Tant que les nouvelles de l'étranger lui parvenaient encore,
Anne avait vu tous ces peuples autrefois qualifiés de civilisés
se précipiter les uns derrière les autres, à
la faveur de la récession massive et de l'explosion du
chômage qui avaient suivi les événements de
2016, dans les bras de prophètes illuminés encore
inconnus de tous quelques années auparavant. Et puis plus
rien, à part la propagande officielle.



Si elle avait eu le coeur à
rire, Anne aurait ressorti quelques vieux exemplaires de magazines
qui avaient échappé Dieu sait comment aux fouilles
périodiques de la maison. Il y était question de
croissance durable et de développement industriel planétaire,
d'ère des loisirs et du tourisme de masse appelée
à durer, de civilisation hydrogène et de biocarburants
qui remplaceraient le pétrole, et encore de quelques promesses
diverses d'un avenir nécessairement meilleur. Comment les
journalistes et ceux qui les lisaient avaient-ils pu à
ce point croire que les histoires les plus belles sont les plus
probables ? Certes, la voiture à hydrogène était
bien là, mais seuls les Miliciens en possédaient
: elles étaient hors de prix. Il est vrai qu'avec des routes
tordues par la chaleur l'été, et un bitume qui faisait
de plus en plus défaut pour les réparer, ce n'était
pas nécessairement très utile d'en posséder
une. Adieu les vacances, à peu près toutes les paires
de bras valides étant nécessaires pour pallier la
baisse de l'énergie disponible, adieu le divorce, devenu
illégal - et de toute façon comment se séparer,
quand l'état seul décidait qui logeait où
? -, adieu le travail choisi, les emplois étant affectés
par la planification centrale, adieu l'éducation longue,
les enfants étant uniquement formés pour le métier
qui leur serait assigné, et depuis 10 ans on ne mangeait
quasiment plus de boeuf, les rendements agricoles étant
en chute libre.



Il y a 2 ans, l'alerte avait été
chaude, et Anne en frissonnait encore : le Logiciel d'écoutes
automatiques l'avait dénoncée pour emploi du mot
« opposition », qu'elle avait malencontreusement utilisé
pour parler du comportement de Sophie à sa mère,
affectée en Bretagne. Le plus enviable des sorts en cas
de dénonciation, qu'elle soit le fait d'un homme ou du
Logiciel, était d'être affecté aux travaux
pénibles en camp d'internement, qui signifiaient généralement
une mort par épuisement ou maladie au bout de quelques
mois. Tout ce qui avait été accueilli comme un progrès
du temps du monde libre semblait désormais se retourner
contre nous. La carte bancaire, obligatoire (les billets avaient
été supprimés), permettait de savoir à
tout moment combien chacun dépensait : difficile dans de
telles circonstances d'organiser la moindre action illégale
! Les puces implantables à GPS permettaient de localiser
chacun en temps réel, ce qui simplifiait bien sûr
les contrôles. Tout logement disposait automatiquement d'un
ordinateur pour son courrier, rendant illusoires les espoirs d'échapper
à la surveillance systématique des échanges
- un logiciel ne s'endort pas au bout de quelques heures de travail
répétitif, lui. Gare à quiconque était
trouvé porteur d'une lettre manuscrite : il avait nécessairement
quelque chose à cacher. Plus que le rationnement et la
cohabitation forcée, plus que les maladies et le climat
qui semblait devenir fou, c'était vraiment cette liberté
perdue qui lui pesait le plus, elle qui avait connu le monde «
d'avant ». Sophie prenait souvent les histoires de sa grand-mère
pour des contes pour enfants, tellement ce qui s'offrait à
ses yeux était devenu différent de ce qu'Anne lui
racontait. Mais la prochaine fois que sa petite fille refuserait
de la croire, elle lui sourirait d'un air tendre, au lieu de se
comporter comme une idiote en lui mettant ces photos d'une époque
révolue sous le nez.



Une chose émerveillait
encore Anne : que les armes atomiques accumulées du temps
de la prospérité n'aient pas encore été
utilisées en Europe, malgré que cela fasse 23 ans
- déjà ! - que la France avait basculé dans
la dictature, tout comme l'essentiel de ses voisins (sauf peut-être
la Grande-Bretagne, personne ne savait au juste). Ou peut-être
ces armes avaient-elles été utilisées sans
que l'on s'en rende compte ; comment savoir ? N'était-il
pas possible que les effets de conflits lointains soient indécelables
avec des gens qui mourraient bien plus jeunes « qu'avant
» de toute façon, à cause de l'alcool gratuit
et du rationnement des soins médicaux ?



La rapidité avec laquelle
tout avait basculé la sidérait encore. On est jeune,
dit le dicton, tant que l'on se croit éternel et invincible.
Elle avait ô combien satisfait à cette définition
! Comme tous ses amis lorsqu'elle avait l'âge de Sophie,
elle avait trouvé normal d'avoir une voiture, son appartement,
de la viande chaque jour, le dernier modèle de téléphone,
dix robes différentes, et de prendre l'avion pour partir
en vacances. Tout le monde faisait pareil, où était
le problème ? Les conséquences « plus tard
» ne la préoccupaient pas plus que le temps d'un
article occasionnel dans le journal. Si c'était si grave,
"on" en parlerait plus que ca dans les media, c'était
évident ! Et si problème il y avait, les ingénieurs
allaient trouver des solutions, comme ils l'avaient toujours fait
! Quelle naïveté... Ce n'était pas seulement
elle qui avait été jeune, mais l'ensemble de la
population, du plus riche bourgeois au dernier des smicards. Comment
ses propres grands-parents, qui vivaient alors comme un cadre
de la Milice d'aujourd'hui, avaient-ils pu se considérer
comme « modestes » ? Qu'elle aurait souhaité
les ressusciter, tous autant qu'ils étaient, juste pour
leur jeter à la figure ce que le monde était devenu
par leur faute ! Comment tous ces gens avaient-ils pu à
ce point se détourner du futur de leurs propres enfants
?



La Milice avait rejeté
la demande d'enfant unique de Sophie, sans motifs comme d'habitude.
C'est probablement mieux ainsi, pensa Anne en regardant par la
fenêtre. Dans deux heures, les alentours se videraient et
resteraient déserts jusqu'à la nuit. Certes, les
travaux nocturnes en extérieur signifiaient un risque accru
de maladies à cause des moustiques, mais la chaleur dans
la journée était vraiment trop insupportable.



La radio s'alluma toute seule.
Un climatologue autorisé prit la parole, pour expliquer
que le réchauffement du climat était en train de
s'accélérer, que notre planète allait prendre
au moins 15 °C d'ici 2200, et que la terre ne pourrait alors
nourrir que 100 millions d'hommes. Suivait une allocution du ministre
de la propagande qui expliqua que les négociations avec
la Norvège pour reloger d'urgence les Provençaux
et les Aquitains ayant échoué, et l'Allemagne, l'Espagne,
l'Italie et la Pologne lorgnant les mêmes terres, c'était
la guerre, avec mobilisation des femmes. Anne regarda Sophie qui
venait de rentrer dans la cuisine, et fondit en larmes.



Bienvenue en 2048.

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